Le pivot de projet dans les startups : une opportunité stratégique pour les entrepreneurs

L’intrapreneuriat est souvent présenté comme un levier d’innovation essentiel pour les entreprises cherchant à se réinventer sans la prise de risque d’une création ex nihilo. Pourtant, derrière les discours enthousiastes, la réalité est plus contrastée. De nombreux projets intrapreneuriaux peinent à atteindre leur plein potentiel, non pas en raison d’un manque d’alignement avec le marché, mais parce qu’ils se heurtent à des dynamiques internes complexes où la politique d’entreprise l’emporte parfois sur l’opportunité business.

Dans cet article, nous explorons les défis structurels et politiques qui freinent l’évolution des initiatives intrapreneuriales, en nous appuyant sur des recherches académiques, des données chiffrées et des témoignages d’experts.

L’intrapreneuriat : entre opportunité stratégique et vitrine RH

L’un des premiers biais freinant l’intrapreneuriat réside dans la manière dont les entreprises perçoivent son rôle. Selon une étude de McKinsey & Company (2023), seules 28 % des entreprises qui lancent des initiatives intrapreneuriales les considèrent comme un levier central de croissance et d’innovation. Pour les autres, l’intrapreneuriat est avant tout un outil de marque employeur, permettant de motiver et de fidéliser les talents en leur offrant un espace d’expérimentation.

Cette divergence de perception impacte directement la gestion des projets. Lorsqu’une entreprise adopte une posture purement stratégique, les projets sont pilotés avec des indicateurs de marché concrets, et la prise de décision repose sur des critères mesurables de viabilité économique. En revanche, lorsque l’objectif est principalement RH, les projets intrapreneuriaux peuvent évoluer dans un flou méthodologique, où l’important est d’exister plus que de réussir.

« Beaucoup d’entreprises affichent des programmes d’intrapreneuriat pour renforcer leur attractivité, mais elles peinent à les intégrer réellement dans leur stratégie business. Le risque est alors que les intrapreneurs eux-mêmes se retrouvent déconnectés des vrais enjeux de l’entreprise. »
Nathan Probst, expert en innovation organisationnelle

Un pilotage biaisé par les croyances internes et les dynamiques politiques

Si les startups ont l’avantage de pouvoir s’adapter rapidement aux signaux du marché, les intrapreneurs évoluent dans un environnement bien différent. Dans une étude de la Harvard Business Review (2022), 67 % des projets intrapreneuriaux échouent à cause d’une vision trop rigide imposée par les sponsors internes, indépendamment des retours clients.

Cette inertie trouve son origine dans plusieurs facteurs :

Un alignement trop fort avec les attentes des décideurs
Dans certains contextes, les sponsors internes ont déjà une idée préconçue du succès du projet, et celui-ci évolue davantage en fonction de leur vision qu’en réponse aux réalités terrain. Ce phénomène crée une illusion collective, où tout l’écosystème interne s’aligne sur un storytelling plutôt que sur des faits mesurables.

Un cadre de décision qui privilégie le consensus plutôt que l’efficacité
Contrairement à l’entrepreneuriat, où la validation d’un pivot repose sur des feedbacks clients directs, l’intrapreneuriat est souvent soumis à des enjeux politiques et des jeux d’influence internes. Pivoter un projet peut signifier désavouer la direction initiale donnée par un sponsor influent, ce qui peut ralentir, voire empêcher, toute réorientation stratégique.

Un cloisonnement entre l’équipe intrapreneuriale et le reste de l’organisation
De nombreux projets naissent en mode « innovation lab » sans réelle connexion avec les business units existantes. Cette autonomie initiale peut être une force, mais elle devient un frein dès qu’il s’agit d’intégrer le projet à l’entreprise. Les résistances internes s’accumulent, notamment lorsque des équipes perçoivent ces initiatives comme une concurrence plutôt qu’un levier de transformation.

Le pivot intrapreneurial : un acte subversif ?

En entrepreneuriat, pivoter est souvent perçu comme une étape naturelle du développement. L’intrapreneuriat, en revanche, fonctionne selon d’autres logiques. Un changement de direction n’est pas seulement une décision stratégique ; il devient un enjeu d’équilibre interne.

Qui a intérêt à ce que le projet évolue ? Si pivoter signifie remettre en question des choix initiaux portés par des sponsors influents, l’exercice devient délicat. Dans certains cas, mieux vaut maintenir le cap, même si les signaux marché suggèrent une autre direction. Cette dynamique explique pourquoi seulement 21 % des projets intrapreneuriaux réussissent à opérer un pivot en temps voulu (BCG, 2023).

« Dans un grand groupe, un projet qui pivote peut être perçu comme une erreur de départ. C’est tout l’inverse de l’entrepreneuriat, où l’itération est vue comme une preuve d’adaptabilité. »
Caroline Maret, consultante en transformation organisationnelle

Vers des solutions pragmatiques

Si l’inertie politique est un frein, elle n’est pas une fatalité. Certaines entreprises ont su structurer leurs initiatives pour laisser de la place à l’expérimentation sans sacrifier la rigueur stratégique.

Clarifier l’objectif du programme d’intrapreneuriat dès le départ
Une entreprise doit se poser la question : l’intrapreneuriat sert-il à générer de la valeur business ou à favoriser la rétention des talents ? Ce positionnement influence directement les indicateurs de suivi et la manière dont les projets seront arbitrés.

Définir des indicateurs objectifs pour guider les décisions
Un bon programme intrapreneurial doit inclure des KPIs adaptés, qui vont au-delà de la satisfaction interne. 

Mettre en place un comité de revue externe
Les projets intrapreneuriaux doivent être challengés par des experts externes ou des parties prenantes sans conflit d’intérêt avec la direction initiale du projet. Cette approche permet d’éviter les biais internes et de donner un cadre plus rationnel aux pivots.

Intégrer des mécanismes d’incentives alignés avec la réussite réelle du projet
Si pivoter est perçu comme un aveu d’échec, il ne sera jamais encouragé. Il faut donc que les intrapreneurs et leurs sponsors soient évalués non pas sur la fidélité à l’idée initiale, mais sur leur capacité à adapter le projet aux réalités du marché.

Conclusion : Vers un intrapreneuriat plus mature et ancré

L’intrapreneuriat est une formidable opportunité d’innovation pour les entreprises, à condition qu’il ne soit pas réduit à un levier d’image interne. Pour dépasser les résistances politiques et organisationnelles, les entreprises doivent structurer leurs programmes avec la même exigence que pour un lancement de startup.

En créant un environnement où les décisions sont guidées par des critères objectifs, où les pivots sont encouragés et où les intrapreneurs disposent d’une réelle autonomie, l’intrapreneuriat peut enfin tenir ses promesses.

Si cet article vous a interpellé, quelles sont vos expériences sur ces enjeux ? Comment voyez-vous évoluer les pratiques d’intrapreneuriat dans les grandes organisations ?